« L’habitat naturel du bébé après la naissance c’est le corps maternel », Nils Bergman
En 1958, John Bowlby, psychiatre britannique développe la théorie d’attachement[1] entre une mère et son enfant. Il s’appuie sur les travaux de Harry Harlow qui soulignait le rôle central du contact physique entre la mère et son enfant chez le singe. Selon lui, les contacts physiques constituent un besoin fondamental chez le nouveau-né. Pour lui assurer un développement social et émotionnel normal, l’enfant a besoin de développer un lien privilégié avec au moins une personne proche de lui, généralement représentée par la mère.
Depuis peu, on assiste à l’émergence du maternage proximal emprunté à nos ancêtres. Cette résurgence des ressentis in utéro permise par la proximité corporelle de l’enfant avec sa mère notamment, permettra au bébé de se retrouver en terrain connu et de se sentir en sécurité.
[1] La théorie de l’attachement est une approche de la psychologie qui traite d’un aspect spécifique des relations entre êtres humains. Son principe de base est qu’un jeune enfant a besoin, pour connaître un développement social et émotionnel normal, de développer une relation d’attachement avec au moins une personne qui prend soin de lui de façon cohérente et continue. C’est dans ce sens qu’on peut dire que l’attachement est primordial pour l’évolution psychologique de l’enfant.

LE CONCEPT DE CONTINUUM
Dans son livre, Jean Liedloff[2] raconte ses différents voyages en Amérique du Sud et sa rencontre avec les Indiens de la tribu Yékwanas : un peuple particulièrement heureux. Elle y avance le concept de continuum qu’elle définit comme un ensemble d’attentes et d’expériences souhaitées par l’évolution de notre espèce. Le nouveau-né s’attend à les trouver à la naissance. Par exemple, il s’attend à ressentir l’étreinte maternelle chose qu’il ressenti pendant neuf mois et qui n’a jamais fait défaut à toute sa lignée d’ancêtres. D’un point de vue de l’évolution notre monde civilisé, tel que nous le connaissons n’est apparu que récemment il y a que quelques milliers d’année…donc les attentes et expériences liées à notre condition qu’homo sapiens, elles, n’ont pas évolué.
Ses expériences indispensables au développement, sont rendues possibles par la phase dite « des bras », période durant laquelle l’enfant est porté de jour comme de nuit ou reste à proximité immédiate de sa mère. Cette phase dure de la naissance à l’acquisition de la marche. C’est durant ces nombreux mois que le bébé expérimente passivement en sécurité contre sa mère. En respectant les attentes de son continuum, il acquiert ainsi confiance en lui, la conscience de ses limites mais surtout l’assurance de l’amour inconditionnel donné par le fort lien d’attachement avec sa mère. C’est d’ailleurs le jeune Yékwana qui une fois prêt « coupera le cordon » pour ne revenir dans le giron maternel que lorsqu’il l’estimera nécessaire.
Selon l’auteure « le bébé reste en contact étroit avec le corps de sa mère dès le moment où il émerge de l’utérus. Lorsqu’il commence à respirer seul, qu’il repose sereinement sur sa mère, calmé par ses caresses, et lorsque le cordon à cesser de battre et qu’il est coupé, la mère donne le sein à son petit […] C’est à ce moment précis, juste après la naissance, lors de la première rencontre de la maman et de son bébé en tant qu’individus distincts que doit avoir lieu l’évènement capital de l’attachement. »
Elle ajoute encore que c’est à la mère qu’incombe le soin de s’attacher à son bébé «il faut que ce soit la mère qui s’attache à son bébé. Un bébé humain est en effet trop fragile pour suivre quelqu’un et pour maintenir le contact avec sa mère autrement qu’en le lui signalant quand elle ne réussit pas à répondre à ses attentes. »
Elle signale aussi que dans notre culture, la phase des bras est loin d’être aussi présente et quand elle est, d’être aussi longue… Le jeune enfant est rarement porté ou gardé en contact avec sa mère. Il dort bien souvent dans son lit seul, se promène en poussette, boit du lait infantile et ne participe pas à la vie familiale avec les adultes. A la fois seul mais surprotégé, il manque ainsi cruellement des expériences telles que son continuum l’a prévu pour lui : du mouvement, des pressions sur son corps au contact de celui qui le porte, de sensations de froid, de chaleur encore de danger (en sécurité) …
L’auteure admet la difficulté aujourd’hui de transposer les leçons apprises des Yékwanas tant notre vie civilisée est aux antipodes de la leur. Elle conseille cependant de « rester le plus proche possible du continuum en utilisant son bon sens » et de cette façon, l’instinct resurgira. Privilégier au maximum la proximité corporelle mère-enfant durant la première année et porter son bébé durant les six à huit premiers mois de sa vie.
[2] LIEDLOFF Jean « Le concept de continuum : la recherche du bonheur perdu » (Ambre Editions – 1975)
L’IMPORTANCE DE L’OCYTOCINE DANS LE LIEN D’ATTACHEMENT
Tout d’abord qu’est ce que l’ocytocine ?
Il s’agit d’une hormone synthétisée par l’hypothalamus et libérée par l’hypophyse, deux glandes de notre cerveau. Si elle est l’hormone principale du processus physiologique de l’accouchement – c’est elle qui est responsable des contractions – elle n’en demeure pas moins celle de l’amour et de l’attachement.
Quelle est son importance ?
L’importance de l’ocytocine dans la création du lien chez le mammifère a été mise en avant par de nombreuses études. Lorsque de l’ocytocine est injectée chez des rats, différents types de rapprochements physiques sont observés : un comportement maternel, l’activité sexuelle et des interactions sociales. Les attitudes des animaux sont modifiées : ils se rapprochent, se reniflent davantage et réalisent leur toilette mutuelle. Ces activités stimulent la production de leur propre ocytocine, renforçant ainsi leurs interactions. Des liens stables sont accentués entre les membres du groupe. La survie d’une espèce repose essentiellement sur la capacité de ses membres à tisser des liens forts d’autant plus si les petits sont allaités.
Un exemple sur une brebis est particulièrement parlant : celle ayant reçu une injection d’ocytocine serait prête à accepter un agneau qui n’est pas le sien et développerait le même lien maternel avec lui que si c’était le sien. Cette expérience démontre l’importance de l’ocytocine dans le développement mère-petit chez les mammifères.
Chez l’homme, la capacité d’une mère à materner sera également induite par la libération d’ocytocine dans le sang. La mise au sein précoce accompagnée par tous les gestes du nouveau-né mettra les sens en éveil et favoriseront cette libération. Cette dernière permettra non seulement au lait de couler mais au lien d’amour entre la mère et son enfant de se développer. Enfin, « le toucher et le contact physique peuvent initier un cycle autogénérant pour produire plus d’ocytocine, qui à son tour favorise désir de contact et curiosité, qui à son tour libère encore plus d’ocytocine[1]. »
[1] UVENÄS MOBERG Kerstin « Ocytocine : hormone de l’amour » (Le Souffle d’Or – 2006)

Le maternage proximal
Le toucher, premier langage
« Les humains ne peuvent survivre sans le toucher, c’est un besoin fondamental. » Ashley Montagu
La peau est l’organe le plus étendu du corps humain et la connexion la plus importante de l’homme avec son environnement. Elle est constituée de trois tuniques : l’épiderme à la surface, le derme et l’hypoderme, la partie la plus en profondeur. Elle trouve son origine embryologique dans la réunion de deux tissus différents. D’un côté l’épiderme, formé à partir de l’ectoderme et de l’autre, le derme et l’hypoderme issus du mésoderme. Le cerveau et l’épiderme sont formés à partir de l’ectoderme commun et ce dès le 21ème jour de l’embryon. Les systèmes tégumentaire et nerveux ont donc une origine embryologique commune.
Il n’est donc pas étonnant que le toucher soit le premier sens à se développer in utéro. Ensuite, tout au long de son séjour dans le ventre de sa maman, le fœtus sera confronté à des stimulations tactiles. Cela peut être la pression du liquide amniotique exercée sur sa peau ou celle de la paroi l’utérus sur son corps, le contact de ses mains sur le visage… Sa faculté de perception se développe à mesure de la maturation de ses récepteurs du toucher.
Dans son livre[1], Ashley Montagu émet l’hypothèse que les contractions utérines de l’accouchement auraient pour but de provoquer des stimulations tactiles dont les effets sont essentiels à la maturation des systèmes vitaux en milieu extra utéro[2]. De plus, selon lui, « le contact physique semble intervenir comme régulateur principal de l’instinct maternel » mais ce dernier intervient aussi dans la récupération physique de la mère. C’est dire l’importance que revêt le contact animal qui lie une mère à son enfant.
C’est par le toucher que le jeune enfant prend conscience de la présence du monde qui l’entoure. Après sa naissance, ses premières perceptions s’organiseront autour du peau-à-peau ou de la tétée.
En 1979, une équipe médicale colombienne créé une technique de prise en charge des nouveau-nés à faible poids. A l’origine pour pallier un manque d’incubateurs : la méthode Kangourou[3] est née. Elle consistait à maintenir le nourrisson nu en position ventrale entre la poitrine de sa mère et ses vêtements. Le peau-à-peau, dérivé de celle-ci et depuis recommandé par l’OMS dès la salle d’accouchement.
Cet accueil, s’il est proposé dans les premières heures de vie constitue un moyen efficace pour réguler la température corporelle, pour favoriser la mise en route de l’allaitement et les interactions mère-enfant. C’est le contact physique même qui en favorisant la sécrétion d’ocytocine permettra l’établissement de ce lien. Les études faites par Anderson et Moore en 2007[4] montrent que le peau-a-peau précoce favorise les comportements d’affection, de lien et d’attachement avec la mère.
Le processus d’attachement est très complexe. Il dépend de comportements innés, de stimulations sensorielles multiples, de sécrétions hormonales et d’échanges émotionnels entre la mère et son nouveau-né. L’équilibre est précaire et toute intervention peut le fragiliser en particulier les routines hospitalières exercées en salle de naissance. Une même séquence est toujours observée entre la mère et l’enfant juste après la naissance et le comportement de la mère est identique en l’absence de perturbation extérieure. Ainsi, la pratique du peau-à-peau influence le comportement maternel et la mise en place de la première tétée. Le contact tactile précoce et prolongé facilite celle-ci. Les enfants ayant bénéficié du peau-à-peau ont ainsi une meilleure succion lors de la première tétée et arrivent plus rapidement à un allaitement efficace. Il influe également sur la durée et le comportement d’allaitement de l’enfant : le taux d’allaitement maternel exclusif est augmenté[5].
En outre, en permettant au nourrisson de retrouver les sensations familières et rassurantes de la vie in-utero, le peau-à-peau aura également un impact positif sur son comportement néonatal général[6].
Le massage est une seconde technique permettant de renforcer les liens parents-enfant par le toucher. Celui-ci est un outil de communication privilégié, un langage corporel que le bébé développe avec son entourage. Le massage et ses différentes composantes en plus du toucher, regard, son de la voix, odeur crée un moment de complicité et de tendresse unique. Ce moment induit la stimulation de l’ocytocine ce qui renforce le lien parents-enfant.
[1] MONTAGU Ashley « La peau et le toucher. Un premier langage. » (Le Seuil – 2014)
[2] Ces contractions remplaceraient le léchage de naissance effectué par les femelles mammifères sur leurs petits.
[3] Méthode Kangourou ou KMC Kangourou Mother Care
[4] MOORE E. R. et ANDERSON G. C. « Randomized controlled trial of very early mother-infant skinto-skin contact and breastfeeding status » (Journal of Midwifery & Women’s Health – 2007)
[5] UVENÄS MOBERG Kerstin « Ocytocine : hormone de l’amour » (Le Souffle d’Or – 2006)
[6] Stabilisation de ses signes vitaux, l’abaissement des hormones du stress et de la douleur
Le portage
Le portage consiste à porter son bébé contre soi à l’aide d’un tissu noué, d’un porte-bébé ou d’une écharpe de portage. Il peut être pratiqué dès la naissance. Utilisé adéquatement, c’est une méthode simple et confortable pour renforcer le lien parent-enfant.
Selon l’archéologue britannique Timothy Taylor, c’est à l’époque de l’homo erectus et de l’homo ergaster que le porte-bébé fut inventé. Il n’était alors qu’un morceau de peau animale nouée pour former une poche portée en bandoulière.
Le porte-bébé en impliquant une proximité corporelle étroite semble un bon moyen d’introduire les comportements d’attachement réciproque. Des chercheurs du Columbia University College of Physicians and Surgeons l’ont démontré au cours d’une étude datant de 1990. La mère et son enfant étaient suivis durant plusieurs mois. Ainsi, celles ayant utilisé le portage avaient, lorsque leur bébé était âgé de 3 mois, des réponses plus fréquentes à ses demandes et davantage d’échanges verbaux avec lui. A 13 mois, 83% des enfants portés avaient tissé un lien considéré comme très sécurisant[1].
Blotti contre le corps de l’adulte, le bébé est massé en permanence. Il retrouve ainsi une grande partie des perceptions sensorielles qu’il a connues in utero[2] et se sent en sécurité. D’autant plus que le porteur peut rapidement répondre à ses besoins sans que celui-ci aille jusqu’aux cris ou pleurs. La mise en route et l’allaitement lui-même est souvent facilité par l’utilisation du portage, certains modes permettant même d’allaiter sans avoir à sortir l’enfant du porte-bébé.
Enfin, le portage a un impact positif pour les mères ayant des difficultés à tisser un lien ou à nouer un contact physique avec leur nourrisson.
[1] DIDIERJEAN-JOUVEAU Claude-Suzanne « Porter bébé : avantages et bienfaits » (Editions Jouvence – 2005)
[2] Le rythme rassurant des battements du cœur de la maman, les gargouillis de son corps, le bercement de ses mouvements, le son de sa voix, le contact de sa peau

Le cododo ou co-sleeping
Il s’agit d’une pratique largement répandue dans le monde. Elle consiste en « un arrangement du sommeil où la proximité entre l’enfant et les parents est assez grande pour que ces derniers perçoivent les signaux que peut émettre l’enfant, et que l’enfant perçoive ceux émis par les parents »[1].
En pratique, il s’agira soit de faire dormir l’enfant dans le même lit que celui de ses parents, soit de le coucher dans un berceau ou lit accolé ou non au lit conjugal. C’est notamment le cas des berceaux ou lits cododo qui permettent à chacun de préserver son espace et son intimité tout en facilitant le passage d’un lit à l’autre.
Le cododo, en favorisant la proximité corporelle aide au tissage du lien, d’autant plus si l’enfant n’est pas allaité au sein ou si l’accouchement fut difficile. En outre, il permet de répondre aux besoins nocturnes du bébé sans délai tout en minimisant la fatigue des nuits entrecoupées. Il créé ainsi un environnement réconfortant qui contribue à la sécurité affective du nourrisson mais également à rassurer les parents leur évitant doutes et inquiétudes.
En cas d’allaitement, c’est aussi l’une des meilleures façons de bien vivre les tétées nocturnes et de soutenir efficacement la mise en place de la lactation. Le bébé est alors nourri à la demande, allongé contre sa maman. Cette dernière peut se reposer entre chaque réveil et se rendormir presque aussitôt une fois la tétée terminée.
Si ce mode de sommeil est fortement encouragé par les hautes instances de santé jusqu’au 6 mois de l’enfant, dans certains cas, il sera fortement déconseillé de le pratiquer. Ainsi, en cas de tabagisme d’un ou des deux parents, de prématurité, de fièvre du bébé, de prise de substances ou de médicaments diminuant la vigilance, le co-sleeping est fortement contre-indiqué.
[1] DIDIERJEAN-JOUVEAU Claude-Suzanne « Le cocodo : pourquoi, comment ? » (Editions Jouvence – 2005).
L’allaitement
« La première fonction affective de la tétée est d’assurer un contact fréquent et intime entre les corps de l’enfant et la mère. » Harry Harlow
Aujourd’hui, dès la naissance, le nouveau-né est placé en peau-en-peau sur le ventre de sa mère. Laissé libre, de lui-même, il rampera, guidé par l’odeur jusqu’au sein maternel dans les deux heures qui suivent sa mise au monde. Les mouvements de fouissements et tâtonnements serviront de massages pour libérer l’ocytocine dans le sang maternel. Il a été établi de façon statistique que les stimulations tactiles du bébé induisent des pulsions d’ocytocine chez la mère. En plus de favoriser l’expression du lait, elles génèrent une dilation des vaisseaux sanguins mammaires assurant chaleur et nourriture pour le nouveau-né. Le couple mère-enfant peut être influencé par la libération concomitante de phéromones[1]. Les effets de ce contact sont nombreux chez le bébé. Il se calme et ne pleure pas lorsqu’il demeure au sein. Après la naissance, ce sont tous les sens en plus du toucher, en particulier les échanges de regards qui sont primordiaux pour nouer une relation harmonieuse entre une mère et son enfant.
Il est à noter que la libération d’ocytocine peut être également provoquée par des pleurs ou des émotions positives associées à l’enfant. A contrario, les émotions négatives, le stress, la fatigue ou le manque de confiance bloqueront sa libération.
[1] UVENÄS MOBERG Kerstin « Ocytocine : hormone de l’amour » (Le Souffle d’Or – 2006)
Vous l’aurez compris, il existe de nombreuses méthodes pour créer et/ou renforcer le lien avec votre bébé. Ainsi s’occuper de son enfant, le câliner, le caresser augmente son sentiment de sécurité et le rapprochement avec vous. Pour alimenter le cycle vertueux de la production d’ocytocine : la proximité corporelle, la multiplication des contacts entre parents et enfants sera primordiale. Le maternage proximal répondra à cette demande au moyen du peau-à-peau, du portage, cododo ou encore de l’allaitement maternel exclusif.